L’esprit des plantes par Patrick Shan
La médecine chinoise n’a longtemps été connue en Occident qu’à travers l’acupuncture. Si cette méthode apparaît comme la plus exotique aux yeux des occidentaux, elle n'est pas pour autant la plus importante du système médical chinois. En Chine, c'est la pharmacopée, c'est à dire l'usage des substances médicinales, qui constitue la branche thérapeutique majeure. La pharmacopée chinoise est l'une des plus riches du monde. Il faut dire qu'elle est née dans un pays qui inclut à peu près tous les climats et reliefs géographiques de la planète, d'où la grande diversité de sa materia medica.
Quant à sa fiabilité, elle se fonde sur une épidémiologie établie sur des milliards d'individus, ainsi que sur une continuité historique exceptionnelle, qui va du mythique empereur Shen Nong (près de 3000 ans av. J-C) jusqu'à nos jours. Car qui dit médecine ancienne ne dit pas forcément médecine dépassée : de même que les maladies sont, malgré leur diversité, une éternelle variation sur le thème de l'humain, les traitements traditionnels consistent, pour l'essentiel, en de nouvelles combinaisons de substances médicinales parfaitement connues, pour les adapter à de nouveaux déséquilibres. A l’ère des molécules de synthèse et du génie génétique, la médecine par les plantes  pourrait passer pour un procédé thérapeutique archaïque. Mais ce serait oublier que 80% de nos médicaments actuels sont dérivés des plantes médicinales traditionnelles. Rappelons également que lorsqu'on prescrit au quotidien des formules étudiées et commentées depuis une dizaine de siècles, on ne prend pas exactement les mêmes risques thérapeutiques que lorsque l'on teste un nouveau médicament en médecine moderne... Un récent rapport du Comité de pharmacovigilance remis au Ministère de la santé estimait à 18 000 le nombre de décès annuels causés en France par les effets secondaires des médicaments, soit à peu près le double des décès dus aux accidents de la route ! Ce constat ahurissant devrait inciter notre biomédecine à la modestie, et à davantage de curiosité à l'égard des savoirs ancestraux. Car si la médecine par les simples n'a pas la puissance d'action de la pharmacopée moderne, elle n'a pas non plus sa fâcheuse tendance à fabriquer des maladies presque autant qu'elle en traite...
L'Organisation Mondiale de la Santé manifeste, il est vrai, un intérêt certain pour les pharmacopées traditionnelles telles que la pharmacopée chinoise. Elle s'appuie en effet sur les connaissances des ethnomédecines du monde pour rechercher moindre à coût les médicaments de demain. Mais l’on peut constater une absence totale de curiosité de la part des chercheurs occidentaux quant à la manière dont ces traditions ont établi les vertus des plantes, et utilisent leur propre pharmacopée. Il est vrai que la question n’est d’aucun intérêt pour notre industrie pharmaceutique, essentiellement préoccupée par la recherche de la molécule qui lui rapportera le “ jack pot ”. D'un côté, la dissection biochimique à la recherche d'un principe actif ne visant que la maladie ; de l'autre, l'observation de l'interactivité entre une substance naturelle et un organisme vivant. Deux mondes se côtoient ici, qui n'ont pas grand chose en commun. Deux mondes aussi différents l'un de l'autre, que les seringues de la médecine occidentale l'étaient déjà de l’acupuncture. 
Des médicaments considérés comme des "êtres sensibles"
Les pharmacopées traditionnelles reposent sur une approche non pas empirique, mais sensible de la médecine. Une médecine qui, dans son sens primitif, est elle-même synonyme de "médicament", ou de "pouvoir de guérison". Ces pharmacopées tiennent compte de la nature intrinsèque des substances comme des humains ; de leur milieu de vie, de leur tempérament et de leurs affinités. La physique moderne admet déjà que toute matière est une forme d'énergie. Elle finira sans doute par démontrer comment la médecine chinoise, à l'instar de celle des indiens d'Amérique, a pu établir sa matière médicale de manière sensible en s'adressant à  "l'esprit des plantes", c'est à dire en se mettant au diapason de leur corps vibratoire. Comment expliquer autrement le degré de précision et de complexité de cette pharmacopée dès ses origines ? Si l'instinct et l'intuition n'étaient pas là au départ, un milliard d'années ne suffirait pas pour établir de manière empirique les propriétés médicinales de toutes les substances de cette planète, sélectionner les plus utiles, et leur meilleur mode de préparation. 
Notre médecine occidentale, qui a déjà bien du mal à admettre les notions d'énergie ou d'esprit dans l'être humain, n'est pas à la veille d'accepter l'idée de guérison par l'énergie ou l'esprit des plantes ! Les deux approches - biochimique ou sensible - de la nature en général, et des médicaments en particulier, ne sont pourtant pas incompatibles. Avec un peu de bonne volonté, elles pourraient sans doute se compléter et s'enrichir mutuellement. Mais elles procèdent d'une telle opposition de vision que leur association dans une même démarche médicale apparaît impossible. Leur rencontre aboutit généralement à des dialogues de sourds, comme ceux auxquels nous assistons depuis des années entre les tenants de l'homéopathie ou des fleurs du Dr Bach, et les aficionados de la chromatographie gazeuse. Nous avons simplement du mal à admettre, comme le souligne Isabelle Stengers , "qu'il existe de par le monde une infinité de systèmes thérapeutiques efficaces, que ces systèmes ne sont en aucune manière réductibles au nôtre, et que ce sont de véritables systèmes conceptuels et non de vaines croyances". 
En apparence, la pharmacopée chinoise ressemble beaucoup à notre herboristerie d'antan. C'est ce que l'on pourrait se dire en visitant la cuisine des hôpitaux traditionnels chinois, où bouillonnent les décoctions des patients dans des chaudrons à longueur de journée. Après tout, nos grands parents n'avaient-ils pas couramment recours à de tels brouets et autres onguents pour se soigner ? Il serait pourtant hâtif d'en conclure que les traitements de pharmacopée chinoise sont de simples remèdes de “ bonne femme ” (du latin bona fama, bonne renommée) pour pays sous-développés n'ayant pas les moyens de s'offrir des "vrais" médicaments. Si tel est le cas, on ne voit pas pourquoi cette pharmacopée serait sortie de Chine pour gagner tous les continents, y compris les plus riches et les plus médicalisés ! Toute la différence entre une médecine populaire et une médecine traditionnelle tient dans le critère de choix des plantes, et dans l’alchimie attendue de leur part. La pharmacopée chinoise se fonde sur un savoir, un diagnostic et une logique de prescription qui n'ont rien de commun avec notre médecine symptomatique. C'est sans doute ce qui lui a permis de résister au rouleau compresseur de la pharmacie moderne, et de séduire des sociétés qui ont depuis longtemps tourné le dos à leur propre médecine traditionnelle.
 
Des saveurs, formes et couleurs au service de la guérison
En médecine chinoise, les propriétés médicinales des simples sont étudiées dans un esprit synthétique, principalement fondé sur l’observation de la nature, et basé sur les théories du Yin Yang et des cinq mouvements (Wu Xing). Les plantes, les minéraux, les animaux et les humains ont tous en commun d’être des produits du ciel et de la terre, qui leur confèrent leurs qualités propres : la terre donne le substrat, la forme, la texture, la couleur, la saveur, tandis que le ciel donne l'odeur, la nature chaude ou froide, ainsi que le tempérament, ou caractère particulier propre à chaque substance (aromatique, asséchante, toxique, etc). Du point de vue chinois, l’effet thérapeutique d’une substance médicinale provient de cet ensemble de paramètres. Ainsi, la saveur d'une plante lui confère-t-elle des propriétés thérapeutiques par son action sur le Qi, l'énergie. Par exemple, la saveur piquante disperse et fait transpirer ; la saveur salée est émolliente et favorise l'écoulement, la saveur douce ou sucrée tonifie et ralentit, la saveur acide est astringente, etc. Naturellement, les substances ont rarement une seule saveur, ce qui complexifie d'autant leur principe d'action. A cela vient également s'ajouter une nature plus ou moins chaude ou froide, qui représente un autre aspect de leur action thérapeutique : les produits de nature chaude ou tiède agissent sur le Yang et chassent le froid, les produits de nature froide ou fraîche agissent sur le Yin et diminuent la chaleur. En pharmacopée chinoise, la combinaison des natures et saveurs est un paramètre important dans la logique thérapeutique : chez un patient qui a pris froid, on choisira par exemple un traitement à dominante chaude et piquante pour disperser le froid du corps, tandis que chez un patient frileux, on choisira des plantes également chaudes, mais de saveur douce, afin de tonifier son Yang, etc. Ces exemples nous démontrent au passage que la pharmacopée chinoise traite par les contraires (contraria contrariis curantur), selon un principe allopathique, et non par les semblables (simila similibus curantur), comme le fait l'homéopathie.
A part la saveur et la nature, toutes les autres caractéristiques d'une plante ont également leur importance : son odeur et sa densité lui confèrent une action plus ou moins montante ou descendante, centrifuge ou centripète, tandis que sa couleur et sa forme peuvent conditionner son champ d'action préférentiel, conformément à la "théorie des signatures" de Paracelse . Ainsi, la couleur rouge du cinabre est-elle censée diriger l'action de ce produit vers le sang ou le cœur ; les fleurs exercent généralement une action vers le haut du corps tandis que les minéraux agissent plutôt vers le bas ; ou encore, la forme des cerneaux de noix, enfermés dans leur coque de bois, peut laisser supposer un tropisme de ce fruit sur le cerveau (et les Reins, dont le cerveau dépend en médecine chinoise), etc. 
Comme toujours, ces données très générales souffrent des exceptions, qu'une longue expérience a depuis longtemps établi, mais qui ne remettent pas pour autant la théorie d'ensemble en cause. Il faut en effet garder à l'esprit que chaque paramètre se trouve nuancé par le complexe que forme la plante entière : c'est l'ensemble de tous ses critères qui confère à une plante sa personnalité propre, et l'action thérapeutique qui en découle. Il serait faux et simpliste de prendre uniquement l'une des caractéristiques d'une plante pour généraliser sur son action supposée : par exemple, de dire que toutes les substances de couleur rouge exercent forcément une action sur le cœur. C'est par de telles réductions simplistes que la science expérimentale a tourné en dérision la fragile et parcellaire théorie de Paracelse. Cela n'enlève pourtant rien au fait que, tous paramètres confondus, la théorie de la pharmacopée chinoise repose sur un système conceptuel parfaitement logique et cohérent, que la physique moderne est d'ailleurs peu à peu en train de valider. 
 
L'action des plantes : un travail d'équipe
La même logique étonnante prévaut également dans la combinaison traditionnelle des plantes médicinales. Celle-ci se fait selon le principe des "quatre rôles hiérarchiques" : une prescription de pharmacopée chinoise est conçue un peu à la manière d'une équipe gouvernementale chargée de gérer un pays. Elle se compose généralement d'une plante dite "empereur", qui représente le produit le mieux adapté au principe de traitement recherché. On y adjoint un ou plusieurs "ministres", qui agissent en synergie avec l'empereur (ce sont souvent des plantes de même saveur et de même nature) pour renforcer et élargir son action. On y ajoute encore des "conseillers", ou secrétaires d'état, chargés de tempérer les effets secondaires possibles des plantes principales, et de traiter des aspects annexes de la maladie non pris en compte par l'empereur et les ministres. On y trouve enfin des "diplomates" ou "ambassadeurs", chargés d'harmoniser l'équipe gouvernementale en équilibrant ou cloisonnant l'action des différentes plantes, et de diriger l'action de l'ensemble de la formule vers tel ou tel organe ou zone du corps.
Une prescription classique de pharmacopée chinoise est ainsi conçue de manière fort subtile, qui permet de prendre en compte non seulement le traitement d'une affection, mais également le ciblage de ce traitement (pour ne pas affecter un organe qui n'en a pas besoin), ainsi que le contrôle de ses effets secondaires possibles (pour ne pas rendre le patient malade à cause du traitement donné). Ajoutons à cela le fait que les prescriptions ont la capacité de suivre l'évolution du patient par modifications successives de leur composition ou du dosage des ingrédients. C'est également quelque chose de précieux, car la maladie est, comme la vie, un processus évolutif. Et même si, dans le cas des maladies chroniques, ce processus est parfois très lent, la prescription d'un même médicament à vie n'est pas dans l'optique de cette médecine : en pharmacopée chinoise, on préfère adapter le traitement au patient plutôt que l'inverse ! Toutes ces particularités font de la pharmacopée chinoise une médecine qualitative, évolutive, individualisée, aux antipodes des traitements à l'identique par la vaccination ou la molécule vedette. Notre industrie médico-pharmaceutique a l'ambition louable de vouloir guérir l'humanité. C'est bien. Mais cela ne devrait pas l'empêcher de respecter les médecines qui, elles, cherchent simplement à soigner les hommes. 
Après avoir évoqué l'esprit dans lequel la médecine chinoise utilisait les plantes médicinales, nous allons à présent nous intéresser à l'usage de cette pharmacopée et son adaptation à nos pays occidentaux. 
 
Les plantes médicinales chinoises, réservées aux chinois ? 
Le champ des maladies en Chine est bien différent du notre. Aussi, parmi la multitude des prescriptions fondamentales de pharmacopée chinoise, toutes n’ont pas leur utilité dans notre société. A l'inverse, un certain nombre de pathologies propres à l'Occident ne trouvent pas de formules classiques adaptées en médecine chinoise, et doivent encore faire l'objet de recherches. Si l'on prend l'exemple de l'obésité, qui affecte bon nombre d'américains et d'européens, on constate que cette maladie n'a jusqu'ici guère fait l'objet de recherches épidémiologiques en médecine chinoise. Rien d'étonnant à cela, lorsque la première réflexion que l'on entend en Chine face à quelqu'un d'enrobé n'est pas : "il est gros", mais : "il est riche" ! 
Mais ce n'est pas parce que la médecine chinoise ne s'est pas encore penchée sur toutes nos pathologies, que sa pharmacopée n'est pas capable d'y apporter une réponse thérapeutique. De la même façon que l'aspirine « fonctionne » sur un chinois, les plantes médicinales chinoises s'avèrent également efficaces sur un occidental, pourvu qu'elles soient adaptées à son cas. La logique qui prévaut pour les plantes médicinales n'est pas la même que pour les aliments : s'il est préférable, pour se nourrir, de rechercher des substances issues de notre biotope, ce qui compte pour un médicament, c'est moins son origine, que l'adéquation de ses propriétés thérapeutiques à la situation clinique. 
 
Médecine de Chine et plantes de chez nous 
Pourquoi faire venir de Chine ce qui peut pousser sous nos climats ? N'avons-nous pas autour de nous de quoi constituer une matière médicale équivalente à celle des chinois ? La pharmacopée occidentale est certes elle aussi très riche. Mais elle repose sur des connaissances empiriques et un usage symptomatique, qui ne permettent pas d'envisager un remplacement ex abrupto de la pharmacopée chinoise, fondée sur une connaissance millénaire de ses produits.
On trouve dans nos pays un certain nombre des plantes médicinales qui font également partie de la materia medica chinoise : on pourrait donc supposer que, au moins pour ces plantes-là, une substitution est possible. Ce n'est hélas pas aussi simple. L'expérimentation comparée révèle que l'utilisation d'une même espèce botanique ne suffit pas pour obtenir les mêmes effets thérapeutiques. Car les plantes sont, comme nous, des produits du ciel et de la terre, qui leur confèrent leurs qualités propres. Le climat, l'exposition, la nature du sol sont autant de paramètres qui viennent modifier les propriétés d'une plante. L’exemple des vins montre bien qu’un même cépage, selon les régions où il pousse, peut donner des produits très différents. Les plantes de la pharmacopée chinoise ont, tous comme les vins, une appellation d'origine qui compose une partie de leur nom. Prenons l'exemple du ginseng (Panax Ginseng), plante tonique bien connue des occidentaux, et produit majeur de la pharmacopée chinoise. Il en existe de nombreuses variétés et qualités - notamment sauvage ou cultivé -, telles que sont prix peut osciller entre celui du kilo de carottes à celui de l'or ! Quant à ses propriétés, elles varient très sensiblement en fonction de sa provenance : tandis que le ginseng de Chine (Ji Ling Shen) tonifie l'énergie, favorise la production de liquides organiques et  calme l'esprit, celui de Corée (Chao Xian Shen), tout en étant tonique, est réchauffant et excitant. Quant à la variété dite américaine (Xi Yang Shen), elle est toujours tonique, mais a une action refroidissante... Remplacer une espèce botanique par sa voisine n'est donc pas une solution aussi simple et évidente qu'il y paraît : en clair, c’est peut-être une plante complètement différente qui aura chez nous les mêmes propriétés, tandis que la même plante aura des propriétés différentes. Pour les praticiens occidentaux de médecine chinoise (et les laboratoires pharmaceutiques, qui suivent cela de près), il y a encore un important travail de recherche à faire sur les équivalences thérapeutiques. Un travail prometteur mais fastidieux, au regard des vagues indications fournies jusqu'à présent par les ouvrages de phytothérapie occidentaux. Aux Etats-Unis, des chercheurs comme Peter Holmes  ont déjà commencé à défricher le terrain, et poser les bases d'une redécouverte de notre phytothérapie traditionnelle à la lumière des principes de la pharmacopée chinoise. Mais l'usage encore confidentiel - voire prohibé - de la pharmacopée chinoise dans certains pays d'Europe est un autre frein aux menées épidémiologiques nécessaires à une telle recherche. 
 
Les plantes : dangereuses ou inefficaces ?
On entend des discours très différents à propos de la phytothérapie en général, et de la pharmacopée chinoise en particulier. Tantôt, elle est présentée comme une méthode thérapeutique désuète et inefficace, tantôt elle est dénoncée comme étant dangereuse. Un incident survenu en Belgique, où plusieurs patients se sont retrouvés dialysés à la suite d'une prescription aberrante, ont récemment remis cette deuxième hypothèse au goût du jour. Même si nous sommes encore bien loin des 18 000 morts causés chaque année en France par les effets secondaire des médicaments , il n'en fallait pas plus pour choquer la conscience médiatique et répandre la rumeur. Ce qu'on oublie toujours de dire, c'est que ce qui rend les plantes et les médicaments inefficaces ou dangereux, ce sont d'abord ceux qui les utilisent sans les connaître. On peut concevoir qu'une médecine moderne en perpétuelle expérimentation, chez qui le traitement à l'aveuglette (ou plus exactement "en double aveugle") passe pour un protocole scientifique, ait légitimement "droit" à plus d'accidents qu'une médecine traditionnelle millénaire. Mais de là à légitimer la première et diaboliser la seconde... Est-ce pour compenser de si cruelles statistiques, que l'on présente les effets secondaires des médicaments comme des maux nécessaires (des "dommages collatéraux" comme dirait l'OTAN), tandis que l'on fait fantasmer le public sur les risques potentiels de méthodes bien moins agressives comme la pharmacopée chinoise, ou même l'homéopathie ? 
La relative "inefficacité des plantes" comparées aux traitements allopathiques n'est pas sans quelques fondements. Il faut effectivement admettre que, d'une manière générale, la puissance d'actions des plantes médicinales est bien inférieure à celle des médicaments modernes. Une raison générale à cela est que les traitements traditionnels chinois on d'abord pour but d'aider le corps à régler ses problèmes, et non de régler les problèmes à sa place. La pharmacopée chinoise comprend par exemple un grand nombre de plantes et de formules reconstituantes, plus proches du principe diététique que du médicament tel qu'on l'entend chez nous. Quant à la toxicité - parfois nécessaire sur le plan thérapeutique - de certains produits, elle se trouve compensée à l'intérieur même des prescriptions, soit par une préparation particulière du produit, soit par son association à d'autres plantes aux propriétés antidotes. En outre, la tradition médicale chinoise prend en compte cette évidence, que si une plante toxique est capable de survivre à sa propre toxicité, le fait de l'utiliser entière permet d'atténuer cette toxicité. En d'autres termes, l'usage des plantes entières s'avère moins puissant, mais également moins dangereux que l'usage du seul principe actif extrait des plantes. La médecine biochimique, qui ne voit comme élément thérapeutique d'un produit naturel que son principe actif, paie la contrepartie de la puissance d'action obtenue par une totale absence de "frein thérapeutique", avec la liste impressionnante d'effets secondaires indésirables qui en découle. Et c'est ainsi que tant de nos concitoyens, chaque année, "meurent guéris". 
On oublie trop souvent que l'efficacité thérapeutique est avant tout affaire d'adéquation entre le diagnostic et le traitement, et non seulement question de la puissance pure d'un produit. Particulièrement en ce qui concerne les traitements dits "de fond", ou "de terrain", le mythe du médicament miracle ne tient pas. Du point de vue traditionnel, ce n'est pas en testant une même formule sur dix mille personnes toutes différentes, que l'on peut juger de son efficacité. La logique traditionnelle veut qu’on adapte le traitement à chaque patient, et non l’inverse. Il faut commencer par accepter de regarder les choses autrement que quantitativement, statistiquement et chimiquement. Les plantes sont, comme nous, des produits du ciel et de la terre. Lorsque nous les ingérons, elles deviennent notre sang, notre énergie, et modifient notre biologie en douceur, selon les besoins. En médecine chinoise, il n’y a pas de frontière nette entre l’alimentation, la diététique et la pharmacopée : quelques heures de cuissons ou une préparation particulière suffisent parfois à faire d’un aliment un médicament. Un médicament que le corps saura toujours mieux reconnaître et utiliser qu’un produit de synthèse.
 
Placebo : un mot chinois ?
Certains insinuent que la pharmacopée chinoise agirait surtout chez les occidentaux par effet placebo. Ce n'est pas complètement impossible... Après tout, beaucoup de chinois ne fantasment-ils pas eux-mêmes sur notre pharmacopée occidentale, exotique à leurs yeux ? En fait, l'importance de l'effet placebo dans l'évaluation des traitements est la même pour toutes les médecines. La différence est que dans une médecine traditionnelle qui connaît depuis des siècles l'action de ses médicaments, le placebo apparaît moins comme un handicap à l'évaluation thérapeutique, qu'un outil supplémentaire à exploiter dans le traitement pour aider l'esprit à participer à la guérison du corps. Il peut arriver qu'un ethnomédecin ajoute à sa prescription un petit mot de guérison écrit de sa main, que le patient mettra à cuire dans la décoction en même temps que les autres ingrédients. On peut appeler cela comme on veut. On peut qualifier le procédé de scientifique ou pas. Mais assurément, il a son efficacité médicale. Tout comme, paraît-il, la couleur des pilules et la forme des boîtes en allopathie moderne... 
 
Les différentes formes de préparation
La pharmacopée chinoise se décline sous de nombreuses formes galéniques : décoction, poudre, pilules, alcoolats, emplâtres, sirops, etc. Ces différentes présentations ne sont pas arbitraires : elles permettent par exemple de jouer sur la vitesse d'action du traitement, selon son absorption plus ou moins rapide par le corps. La méthode de préparation la plus traditionnelle est la décoction, aussi appelé brouet, ou soupe (Tang). C'est elle qui permet d'extraire le plus efficacement les propriétés des plantes, et d'adapter souplement le traitement au malade en variant si besoin le dosage des ingrédients à chaque prise. Le problème, c'est que cette forme de préparation impose des contraintes qui ne vont guère dans le sens d'une vie moderne réglée au chronomètre et à la minuterie du micro-ondes. Peu de personnes sont aujourd'hui disposées à se traiter en faisant cuire au coin du feu, plusieurs heures par jour, un bouillon de plantes à l'odeur disons... particulière. C’est pourquoi on assiste depuis quelques années à de nouvelles présentations, telles que les poudres lyophilisées, les gélules, les extraits liquides etc., qui permettent d'envisager l'utilisation de la pharmacopée chinoise sans les contraintes liées aux préparations "artisanales" comme la décoction. Mais il faut s'attendre à ce que les effets soient moins puissants, différent, voire disparaissent si les produits ne sont pas traités au départ de manière traditionnelle, ou se retrouvent dilués dans trop d'excipients.
Rappelons que l'homéopathie, qui consiste à traiter par des doses infinitésimales d'un produit ressemblant à la maladie, n'est pas une méthode de préparation adaptable à la pharmacopée chinoise, qui traite par les contraires, selon un principe allopathique. En cas de fièvre, on donnera en médecine chinoise un traitement de nature froide, tandis qu'en homéopathie, on donnera (la trace d')un produit de nature chaude. Le principe homéopathique n'est pas forcément étranger à la théorie médicale chinoise (il obéit à la loi du "Yin à son extrême qui se transforme en Yang, et vice-versa"), mais il n'a jamais été appliqué à la pharmacopée traditionnelle de cette médecine. 
Une autre méthode de phytothérapie, qui connaît un essor assez important depuis quelques décennies, est l'aromathérapie. La distillation des plantes aromatiques est une technique très ancienne puisqu'elle remonte à Avicenne, médecin et philosophe grec du XIe siècle. Mais comme son nom l'indique, l'aromathérapie reste limitée à l'utilisation des plantes ayant un caractère aromatique, ce qui ne représente qu'une petite fraction de la matière médicale. Son champ d'action apparaît donc restreint par rapport à celui de la pharmacopée chinoise, qui comprend non seulement beaucoup de plantes non aromatiques, mais également des produits minéraux et animaux, dont les propriétés sont évaluées en fonction de bien d'autres paramètres que l'arôme (ibid.).
En médecine chinoise, le caractère aromatique et volatile d'une plante lui confère une action circulante et dispersante. On trouve souvent de tels produits dans les traitements à usage externe, comme le célèbre Baume du Tigre, sorte de Synthol chinois. Mais on trouve également des plantes à dominante aromatique dans le traitement par voie interne de pathologies digestives, circulatoires, rhumatismales, anti-infectieuses et antivirales. Le fait de les utiliser sous la forme d'huiles essentielles renforce certainement ces dernières actions. En effet, les substances aromatiques naturelles ont l'avantage de détruire microbes et virus tout en stimulant le système immunitaire, et en restant parfaitement biodégradables par le corps. Ils représentent dans bien des cas un substitut intelligent aux antibiotiques, qui pour leur part affaiblissent le système immunitaire et rendent les souches virales de plus en plus résistantes. Dans le principe, rien n'interdirait donc d'envisager l'association de certaines huiles essentielles à d'autres formes galéniques traditionnelles de la pharmacopée chinoise, comme la décoction ou la poudre. Cela fait partie des voies de recherche raisonnables que peut offrir la combinaison de la tradition et de la modernité.
Il est sans doute nécessaire que la pharmacopée chinoise évolue un peu dans sa forme pour mieux s'adapter à nos besoins d'occidentaux. Mais son fond ne doit pas changer. Ce n'est qu'en conservant son âme qu'elle pourra peut-être nous permettre de redécouvrir notre propre phytothérapie. Si elle la perd, elle finira par rejoindre le sort funeste de sa parente occidentale, vendue exclusivement en officine pharmaceutique, par des herboristes qui n'en sont plus. 
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