Dieu imprime mes circuits Par Patrick Shan
Devant une grande assistance attentive, un professeur parle. Je crois que c’est un professeur de philosophie. Il dit son émotion d’avoir reçu un texte anonyme, qu’il entreprend de lire. La lettre commence par deux alexandrins, qui me plongent immédiatement dans un espace de réflexion – je fais partie de l’auditoire – et se poursuit par un texte à la fois drôle, profond et surprenant.
Chaque phrase est un petit bijou, une lampe éclairant de belle manière un chemin inconnu. On ne sait ou va l’auteur, mais on se laisse porter par l’agréable surprise des émotions et des réflexions que suscitent ses mots.
 
Le professeur termine sa lecture de la lettre, dont le final est un étrange « Dieu imprime mes circuits », qu’il répète à vois lente et qui fait s’esclaffer la salle. 
 
Alors que le Professeur exprime son regret de ne pas connaître l’auteur de ces lignes, qui ont plongé l’assistance dans une méditation collective, un brouhaha se lève. Un copain vient de trahir l’identité du coupable, un jeune homme aux allures de hippie timide, qui se lève avec une expression d’excuse sur le visage. Le professeur l’enjoint à gagner le devant de la scène, et lui donne l’accolade sous les vivats de l’auditoire.
 
Quant à moi, je me réveille à ce moment avec un sentiment étrange. 
Sentiment de bien-être, car ce petit bout de rêve que je viens de faire n’était pas désagréable ;
Sentiment de frustration, car hormis la dernière phrase, que le Professeur a eu la bonne idée de répéter par deux fois, j’ai justement pu l’imprimer, mais le reste du texte m’a échappé, et malgré tous mes efforts, je ne parviens pas à m’en souvenir ;
 
Sentiment de trouble, enfin, car ce n’est pas simplement une scène fantasmagorique que je viens de vivre, mais un enseignement pétillant d’intelligence qui, sur le moment, m’a laissé bouche bée, et que je suis bien incapable de reproduire à mon réveil… alors qu’il est censé être le produit d’une partie de moi-même. 
 
Et voilà ce qui a motivé l’envie de noircir à mon tour une « vraie » page blanche à mon réveil : l’esprit humain est un iceberg. La conscience n’est que sa partie immergée, mais si cette dernière réussit à rentre visite à son âme, elle n’a pas fini de s’étonner elle-même de ce qu’elle peut trouver emprisonné dans ses glaces.
 
Voilà qui devrait plaider en faveur de la pratique de la méditation avant de s’endormir.
Dieu imprime mes circuits.


Patrick Shan
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